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  • Photo du rédacteurRaluca Belandry

Quête d'une langue


La langue, drôle de chose qui nous tient enchaînés à des racines invisibles. J'avais renoncé à la mienne, roumaine, en faveur du français. Mais la question du caractère fugitif de toute langue étrangère a longtemps retenu mes ardeurs d'écriture. J’avais vingt-quatre ans, j’étudiais à Londres, imprégnée de l'atmosphère du mythique Bloomsbury, quand l'appel s'est manifesté. La poésie fut ma terre d’élection, et ce fut en anglais que j'y répondis. Une longue suite de poems en découla, inspirée comme je l’étais, alors, par Shakespeare, Keats, Shelly, Yeats, Rossetti, Brooke, Lawrence.


Le français dut attendre : il me fallait revenir à Paris, devenir ce que je devais devenir, faire ce que je devais faire et renoncer ce à quoi je devais renoncer. Avant de rejoindre enfin la langue qui m'accueillerait comme une nouvelle mère.


Nos rencontres furent ambiguës, sur des pages comme des draps jamais lisses, jamais blancs, souvent tourmentés, alternant formes, rires et colères, dans une agitation aussi pleine de désir que maladroite. Heurts, caresses, évitements, interrogations, pour accompagner ces rencontres étranges et étrangères. Le temps non-vécu d'une langue est un château à mille contes interrompus.


Et j’ai commencé. Un grande crypte dut se craqueler, ouvrir le souffle d’en dessous. Le gentil spectre enfermé depuis la perte de la mémoire devait se réveiller. Je songeai à la crypte du Verbier de l’homme aux loups d’Abraham & Torok, en me retrouvant avec la mienne sur la tête, à moitié sonnée, à moitié consciente qu’il fallait la briser. Ainsi me vinrent ces mots :


"Qu'est-ce cette langue qui m'écrit,

dont je ne partage ni la couleur, ni le sang, ni l'envol ?

Qu'est devenu le magma sourd dont je suis née, infuse-t-il encore mes silences ?

Il n'y a pas de langue ! Pas de peau !

Il n'y a que le souffle et l'effroi du souffle.

Le mutisme de la nudité, vide et grise comme le tain dissout.

Il n'y a que la larme du mot renié et enterré, exsangue.

Il n'y a que le cri sourd et l'œil vague, qui l'engloutit pour recracher son âme." *



J'écris depuis, interrogeant le moindre geste. Etre en lien avec la langue, ne plus la quitter, l’habiter en tant que lieu d’émerveillement, fouiller ses articulations connues et inconnues. Avec le corps, mais surtout, avec un souvenir que je n'ai pas. Chercher réponse à la question : « Qu’est-ce qu’un corps qui écrit ? Comment une langue s’empare-t-elle du corps muet ? » Ecrire doutant de tout, à commencer par l’origine.


“La pensée d'être créateur, d'engendrer, de constituer est pleine de souvenirs hérités de millions d'engendrements et d'enfantements. Tout appelle l'avenir. Sur le fond du hasard c'est la loi qui s'éveille par laquelle une semence vigoureuse et résistante se fraye un chemin jusqu'à l'œuf. Dans les profondeurs tout devient loi." dit Rilke dans Lettres à un jeune poète.



Alors j'écris parce que j'ai beaucoup oublié. Parce que je me suis longtemps tue. Parce qu'il est cette loi de l'imagination dont les secousses me déplacent en-deçà de la vie. Pour m'ouvrir à davantage de réel, à davantage de vérité.



Un recueil de poésies Puisque, enfin paru, couvre toutes ces années aventureuses, pour éclairer ce cheminement douloureux parfois, magique souvent. Partir du présent pour remonter aussi loin que l'oubli. Quitter le présent pour rejoindre les muses. La dixième m'entoure, me guide et me regarde, témoin intime de tous ces envols partis pour exprimer l'inexprimable.


"Je suis une forêt,

des brindilles pour un nid,

brume de magie tombant

sur des paupières d’enfants

qui ne veulent pas mourir.

Je suis une grotte repue de trésors

et le chêne qui me cache.

Je suis une crique

pour le sel des voyages inachevés.

Je suis la caresse des doigts nostalgiques

qui tâtonnent dans le sable

caresse spiralante

qui cherche éperdument

l’autre

dans un monde

MUET."

 

 



R.B.

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